Scénario

Nos objets deviennent des déchets parce que nous décidons de les appeler ainsi. Le point de départ du documentaire est la crise des déchets dénoncée en Sicile de ces dernières années. Or à partir de ces images choquantes, on arrive à la thèse paradoxale que les ordures n’existent pas. Le fil conducteur sera le parcours d’un écologiste, moi-même ! Qui suis-je ? Je suis bien sûr un réalisateur de documentaires, mais j’ai une formation scientifique comme ingénieur. Originaire de Palerme, je vis et je travaille à Paris depuis 1997. Le film se développe comme mon journal intime en douze chapitres, qui prendront la forme de vidéo-lettres envoyées à « Colapesce » sous la forme de messages en bouteille confiés aux flots de la mer sicilienne. Colapesce est le personnage mythique d’une ancienne légende sicilienne, un garçon mi-homme mi-poisson, qui s’est sacrifié pour sauver la Sicile.

Nicolas, dit Cola, fils d’un pêcheur de Messine, était célèbre pour sa grande passion pour la mer et les explorations sous-marines. Le Roi de Sicile, Frédéric II, voulut en expérimenter les capacités. Quand le roi le mit à l’épreuve, pour la troisième fois, en jetant une bague dans des eaux très profondes, Colapesce (« NicolasPoisson« ) n’émergea plus. Selon la légende, en descendant en profondeur il avait vu que la Sicile reposait sur trois colonnes, dont l’une était rongée. Il avait donc décidé de rester sous l’eau, pour soutenir la colonne afin d’éviter que l’île ne sombrât dans les flots. Modernes Colapesce, fatigués de soutenir l’île et décidés à émerger des eaux, les écologistes siciliens sont aujourd’hui nombreux à vouloir préserver  leur ile des problèmes environnementaux en lançant un message de sensibilisation et de responsabilisation collective.

En tant qu’habitant de deux villes totalement différentes, Paris et Palerme, je trace un parallèle sur leurs gestions des ordures ménagères. À Paris la collecte fonctionne très bien, mais la « récolte » est destinée majoritairement aux incinérateurs. À Palerme il n’y a pas d’incinérateurs, mais on y trouve l’AMIA. Cette société chargée de la gestion de la collecte des déchets ne fait pas du tout son travail, s’abstient de développer le tri sélectif et semble agir de façon à vouloir remplir rapidement la décharge publique pour pouvoir imposer à l’État, au Conseil Régional et aux citoyens inconscients, la nécessité de la construction d’un gigantesque incinérateur, dont il serait actionnaire, à proximité de la ville.

Je vais essayer de comprendre les causes de la gestion criminelle des déchets en Sicile. Je rencontre les éboueurs comme les dirigeants de l’AMIA, je visite la décharge saturée de Bellolampo et j’explore les centres de traitement qui curieusement n’ont jamais fonctionné depuis leur construction. Maintenant déjà, je vois ma belle ville submergée par les ordures qui envahissent les rues ; je me bats contre les décharges sauvages en plein centre historique et notamment celle en face de mon balcon… (voir photo)

Après cette partie: l’information critique (plus vraie et réelle que celle des JT), l’étape suivante du parcours d’un écologiste doit être la prise de conscience des causes profondes.

On voit alors que la société de consommation exploite un effet pervers bien caché derrière le cercle vicieux achat-déchet: la métamorphose de biens de consommation individuels en problème collectif. Et puisque tout ce qui est collectif a du mal à fonctionner dans l’Italie du Sud, tout se complique… Revenons à l’effet caché, à ce « tour de magie ». Au nom du droit de propriété individuel, on considère qu’un objet que nous achetons est totalement nôtre. Pourtant, un instant après l’avoir mis à la poubelle, on ne veut plus en entendre parler et il se met à appartenir au domaine public, et nourrit le problème collectif de l’élimination des (biens) déchets au détriment de l’environnement.

Pour reconstruire l’histoire des ordures comme phénomène anthropologique, et pour le replacer dans une problématique linguistique, je rencontre l’anthropologue Franco La Cecla et le linguiste Antonio Lavieri.

Je rencontre aussi Paul Connett, professeur américain spécialiste de la politique du « Zéro Déchet » lors d’une conférence qu’il donne à l’Université de Palerme. Ses idées simples et révolutionnaires sur lesquels il fonde la philosophie « Zéro Déchet » renforcent mes convictions : « Les ordures sont une erreur du système » et « il est important de responsabiliser les citoyens ».

Lors de la dernier étape, l’action, je rejoins différents groupes d’écologistes, notamment le groupe Réseau Zéro Déchet et je rencontre les chiffonniers qui essayent à leur façon, humble et concrète, de combattre la crise des déchets à Palerme.

Dans la dernière scène, alors que je suis en train de jeter à la mer la dernière bouteille, on voit un point se rapprocher de la côte et on imagine donc que Colapesce est de retour. Mais quand il arrive sur la plage, on s’aperçoit qu’il a la même tête que moi ! Le sens de cet épilogue inattendu, simplement visuel, est que nous nous attendons toujours, surtout dans le cas des problèmes écologiques, que quelqu’un d’autre nous donne la solution ou qu’il l’incarne. Or seuls nous-mêmes devons et pouvons apporter la solution.

Cela ne signifie pas seulement qu’on doit être conscient de nos comportements et éventuellement les corriger; mais qu’on doit combattre aussi contre la corruption et la mauvaise économie (environnementale) et avant tout changer notre rapport avec la nature.

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